Ahhh la compensation carbone… tout le monde en parle ! Et pour cause, c’est l’outil de “verdissage” ultime pour détendre les consommateurs. Vous culpabilisez de prendre l’avion ? Pas de soucis, vous pouvez acheter un crédit pour compenser. Vous êtes inquiets de l’impact de votre nouveau sac à main ? Pas de problème, tout a déjà été compensé !
Dans cet article, nous allons nous intéresser au système de compensation carbone volontaire, c’est-à-dire aux crédits carbone achetés volontairement par des entreprises pour “annuler” les effets négatifs de leurs émissions de CO2. Vous vous en doutez, quand c’est trop beau pour être vrai… c’est souvent que c’est vraiment trop beau !

C’est quoi la compensation carbone volontaire ?

Un projet de compensation carbone volontaire est un projet qui valorise le stockage pérenne d’un certain volume de CO2. L’idée étant que ce volume de CO2, stocké grâce au projet, n’ira pas dans l’atmosphère et ne contribuera donc pas à aggraver le changement climatique.
Les projets de compensation carbone sont de différentes natures : forestiers, développement des énergies renouvelables, dispositifs d’économie d’énergie (par exemple pour les appareils de cuisson, l’isolation des bâtiments…). La majorité des projets de compensation carbone sont aujourd’hui des projets forestiers : protection des forêts, reboisement… cela représentait 61% des crédits carbone achetés en France en 2020 (Source INFCC). C’est pourquoi nous nous intéresserons particulièrement à ce type de projet dans la suite de l’article.
Chaque projet calcule des “crédits carbone” en calculant les tonnes d’émissions de CO2 évitées par le projet. Ces crédits sont ensuite vendus quasi exclusivement à des entreprises qui souhaitent ainsi “compenser” leur empreinte carbone.

Maintenant que nous avons reposé le principe, nous allons voir pourquoi ce système n’est pas une réponse structurelle au changement climatique et qu’il a aussi de nombreuses limites et effets pervers !

Pourquoi la compensation carbone n’est pas LA solution ?

Enfonçons une porte ouverte : la compensation carbone n’est pas la solution pour lutter contre le changement climatique. C’est un point crucial mais visiblement oublié des Accords de Paris qui prévoient que le principal levier pour limiter le réchauffement climatique à +2°C d’ici 2010 est la réduction drastique de nos émissions, de l’ordre de -85% par rapport à nos émissions actuelles. La compensation carbone ne nous permet que de parcourir le petit bout de chemin restant, afin d’équilibrer les émissions qui restent avec ce qui est absorbé, et donc d’atteindre un état où la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’augmente plus.

Compenser nos émissions actuelles n’est de toutes façons physiquement pas possible. Prenons la compensation carbone par reboisement, il nous faudrait 4,5 planètes pour avoir suffisamment de terres où planter de nouvelles forêts…

Quelles sont les dérives et limites actuelles des projets de compensation carbone ?

Une des difficultés principale pour se faire un avis au sujet des projets de compensation volontaire est la grande diversité des projets et des organismes qui mettent en œuvre et accréditent ce type de projets. Il y a cependant un certain nombre de limites et dérives qui sont structurelles au marché de la compensation volontaire.

1. N’importe qui peut monter un label de certification de compensation carbone

Aussi étonnant que cela puisse paraître, n’importe quelle entreprise ou association peut créer son label et commercialiser des crédits carbone. Choix à elle de créer son processus de labellisation et ses propres règles du jeu. Vous vous en doutez, tous les labels sur le marché aujourd’hui ne se valent pas du tout ! Certains sont même épinglés pour leur laxisme comme le label American Carbon Registry dans l’émission Last Week Tonight où le journaliste explique que ce label a certifié des projets de protection de forêts concernant un parc naturel et une réserve privée de chasse. Dans les deux cas, on voit mal en quoi ces zones étaient menacées de déforestation et en quoi lever de l’argent avec des crédits carbone était indispensable à leur protection !

2. De nombreux projets labellisés ne sont en fait tout simplement pas de la compensation carbone…

Prenons l’exemple du label Verra, un label américain qui est le leader mondial sur le marché de la compensation carbone volontaire. Le label est également très présent en France où il représente à lui seul 86% des crédits vendus en France en 2020 ! (Source INFCC) Environ ⅓ des crédits vendus sont générés par leur dispositif REDD+, un dispositif qui vise à protéger les forêts de par le monde. Mon point n’est pas de dire que ces projets ne sont pas utiles, voir indispensables. En effet, protéger les forêts est un point crucial pour nous permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et un enjeu majeur pour la biodiversité qu’elles abritent. La question est : est ce que ces projets sont de la compensation carbone ??
Vous vous doutez que si je vous pose la question, c’est que la réponse est très loin d’être évidente !
Prenons d’abord un critère indispensable pour dire qu’un projet est de la compensation carbone, c’est le principe d’additivité. Ce principe au nom barbare est en fait assez simple, il faut démontrer que le projet n’aurait pas pu être mis en œuvre sans son financement via des crédits carbone. Le fait de financer ce projet contre des crédits carbone permet donc de faire une action “en plus” qui ne se serait pas réalisée sinon. Essayons maintenant de voir comment ce principe peut s’appliquer à des projets de protection des forêts. Pour démontrer qu’il y a additivité, vous devez démontrer que le projet permet de stopper une déforestation qui menaçait la forêt et qui aurait eu lieu si la forêt n’avait pas été protégée grâce à l’argent des crédits carbone. Dans les faits, c’est compliqué, car vous devriez prouver que la déforestation ne s’est pas juste reportée sur la parcelle suivante qui n’est pas protégée, ce qui est parfaitement impossible à démontrer à 100%.
Encore une fois, ces projets de protection sont très intéressants sur le fond. Il est vital pour le climat et la biodiversité que nous protégions les espaces naturels. Cependant, sur la forme, il est complètement impossible de démontrer que ces projets sont additifs et donc qu’ils sont de la compensation carbone.

Mais ce n’est pas tout, quand est-il des projets de reboisement qui concernent des forêts endommagées pas des incendies ou tempêtes ?
Tout comme les projets de protection des forêts, ces projets de reboisement par principe ne compensent rien du tout ! En effet, il s’agit là de reconstituer le stock de carbone qui était séquestré dans les arbres et qui a été relâché lorsque les arbres ont été endommagés par un incendie ou une tempête. Cela ne crée pas un nouveau stock de carbone et c’est là tout le problème. En effet, les crédits carbone de ces projets sont vendus à des entreprises qui souhaitent compenser, c’est-à-dire annuler l’effet de leurs propres émissions de CO2. Ces crédits sont en fait des “droits à polluer” : j’achète des crédits pour 500 tonnes de CO2 pour annuler l’effet de 500 tonnes de CO2 que j’ai rejeté dans l’atmosphère. Sauf qu’acheter un crédit venant d’un projet de conservation forestière ou de régénération de forêt ne va pas du tout permettre d’absorber vos 500 tonnes.

3. Les projets de compensation carbone sont massivement inefficaces

Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que selon une étude de l’Öko Institut de 2016 portant sur plus de 5000 projets : « Seulement 2 % des projets et 7 % de l’offre potentielle de RCE (réduction certifiée des émissions) ont une forte probabilité de s’assurer que les réductions d’émissions apportent une réelle contribution et qu’elles ne sont pas surestimées ». Selon cette étude, seulement 7% des crédits de compensation carbone seraient efficaces !

Un autre axe d’analyse nous apporte également une confirmation de l’inefficacité globale du système, c’est le prix des crédits carbone. En 2020, les crédits carbone se sont vendus autour de 4,5 € / tonne de CO2. C’est beaucoup, beaucoup trop bas ! En effet, plusieurs études économiques ont modélisé le prix que devrait avoir la tonne de CO2 pour que ce prix soit dissuasif et incite à réduire les émissions à un rythme compatible avec la trajectoire des accords de Paris. Selon la synthèse réalisée par l’INSEE en 2020, la tonne de CO2 devrait s’échanger entre 127 € et 247 € dès 2020. On est donc bien loin du compte !

4. La communication autour des projets de compensation carbone relève souvent du greenwashing

Alors même que les projets de compensation carbone sont souvent très inefficaces pour retirer réellement du CO2 de l’atmosphère, c’est justement là qu’est leur promesse. Ces crédits sont achetés par des entreprises comme des “droits à polluer” pour compenser leurs propres émissions de CO2.
La communication autour de cette compensation carbone est souvent problématique avec par exemple l’usage du terme “neutre en carbone”, alors même qu’aucune entreprise ne peut se revendiquer neutre en carbone. Pour plus de détails, allez découvrir notre article : La “Neutralité Carbone”, palme d’or du greenwashing ?

Ensuite, les projets de compensation soutenus sont souvent mal expliqués, comme par exemple ici sur le site du Groupe Kering : “Pour l’année 2018, et comme indiqué dans les résultats de l’EP&L, le Groupe devra compenser environ 2,4 millions de tonnes d’équivalent CO2. Kering poursuivra son programme de compensation carbone par le biais de projets REDD+ certifiés, qui permettent de préserver les forêts critiques et la biodiversité, mais aussi entretiennent les moyens de subsistance des populations locales. […] Les forêts agissent comme des puits de carbone. Leur protection facilite donc l’absorption du carbone présent dans l’atmosphère et contribue à atténuer les effets du changement climatique.”
Le groupe Kering a choisi d’acheter des crédits REDD+, qui financent dont des projets de protection de forêts déjà existantes. Aucune des 2,4 millions de tonnes d’équivalent carbone que le groupe veut compenser n’a donc été réellement retirée de l’atmosphère. Quand à la fin de la citation, elle est tout simplement fausse, une forêt mature ne va pas se mettre à stocker plus de carbone car on la protège. Sa protection va permettre de ne pas dégrader le stock existant, pas de l’augmenter.

Pourtant, sur le fond, il est sans aucun doute intéressant que l’entreprise subventionne ce type de projets, s’il s’agit évidemment de projets sérieux qui protègent réellement les forêts. Le problème n’est pas dans le fond du projet mais dans la manière dont le soutien à ce type de projets est utilisé pour se dédouaner à tort de son impact carbone. L’objectif étant de donner au consommateur l’impression qu’il est possible de consommer de la même manière qu’aujourd’hui simplement en compensant, alors même que la compensation est très souvent inexistante !

Alors comment faire ?

D’un côté, nous avons des labels sérieux, comme le Label Bas Carbone, et des gestionnaires sérieux, comme l’ONF qui proposent des projets de compensation carbone. Seulement une petite partie des projets de reboisement portés par l’ONF sont certifiés Label Bas Carbone. Il s’agit de projets où le propriétaire (une mairie, un département…) ne peut pas assurer le coût du reboisement. Sans l’argent dégagé par la vente des crédits carbone, ces projets de reboisement, pourtant précieux pour conserver nos puits de carbone et pour la biodiversité, n’auraient tout simplement pas lieu. L’ONF porte aussi des projets de reboisement de forêts dépérissantes à cause des conséquences du changement climatique, notamment l’augmentation des sécheresses. Là aussi, des projets vitaux qui doivent être financés et soutenus.

La clé pour éviter que les projets de “compensation carbone” ne soient du greenwashing réside pour moi dans deux solutions. Tout d’abord, une régulation beaucoup plus stricte des organisations gérant les labels de compensation carbone pour s’assurer d’un sérieux minimum des projets. Ensuite, une régulation là aussi beaucoup plus stricte de la communication faite autour de la compensation carbone… en ne parlant justement plus de compensation ! Ce terme est à écarter car il est tout simplement faux dans beaucoup de projets qui sont des projets de conservation de puits de carbone et non pas de compensation. Les entreprises devraient être contraintes à ne pouvoir utiliser qu’une communication du type : “Nous avons contribué à la sauvegarde de XX hectares de forêt et ainsi à la protection de X espèces menacées”, “Nous avons financé le reboisement de XX hectares”. Cette forme de communication est certes beaucoup moins sexy mais beaucoup plus juste et honnête par rapport à l’impact réel des projets soutenus !
En effet, mal utilisés et mal communiqués, les projets de compensation carbone nous éloignent de la solution principale, majoritaire et indispensable pour lutter réellement contre le changement climatique : la réduction importante et rapide de nos émissions de gaz à effet de serre.

Sarah Bougeard pour Time to Act