S’il y a bien quelque chose qui rend l’humain unique c’est sa capacité à créer. Nous avons créé les avions, la 5G, le Big Mac, bientôt l’Iphone 26… Pour accompagner tout cela, nous avons également créé le changement climatique, ce n’est pas rien ! Face à ce défi immense que représente le changement climatique, je rencontre régulièrement des personnes dont la foi dans notre génie créatif est chevillée au corps. La réponse au changement climatique ? Nous inventerons des solutions ! Nous imaginerons des technologies pour créer de l’énergie sans polluer, des machines pour retirer les gaz à effet de serre de l’atmosphère… Bref, le progrès nous sortira d’affaire !
Mirage ou issue de secours, l’innovation peut-elle vraiment nous sauver ?

Le progrès neutre en carbone existe t-il déjà ?

Nos modèles économiques sont basés sur une idée fondatrice : la croissance ! C’est elle, et donc l’augmentation du PIB, qui est l’indice économique par excellence. Il faut que ça monte, toujours ! Mais est-il possible que cela continue à croître tout en n’ayant pas d’effets négatifs sur l’environnement ? C’est la question du découplage : peut-on découpler croissance économique et utilisation des énergies fossiles ou encore impact environnemental ?
De nombreux experts se sont déjà penchés sur la question, dont le cabinet de conseil Carbone 4. Dans une publication, est analysée la notion de découplage et comment cette notion s’inscrit dans les scénarios de transition. Pour parler réellement de découplage entre la croissance du PIB et notre impact environnemental, il faudrait que ce découplage remplisse certaines conditions. Tout d’abord, il faudrait qu’il soit absolu, c’est-à-dire que la croissance économique puisse augmenter alors que notre impact environnemental baisse. Ensuite, il faudrait qu’il soit total, ainsi le PIB augmenterait indépendamment de l’ensemble des impacts négatifs sur l’environnement : réchauffement climatique, baisse de la biodiversité… Enfin, ce découplage devrait être mondial et encore pérenne, et non pas lié à un événement “ponctuel” comme le Covid par exemple.

Ce qui est intéressant de noter, quand on regarde l’historique de la croissance mondiale, c’est qu’un tel découplage ne s’est tout simplement jamais produit. L’idée qu’il puisse exister une “Croissance Verte” où le PIB continuerait à croître indéfiniment alors que les dommages environnementaux diminuent est donc bien une idée, une théorie que rien dans l’observation des comportements passés ne peut étayer, bien au contraire. Nous observons aujourd’hui une forte corrélation entre la croissance du PIB et l’augmentation de notre consommation d’énergies fossiles et donc l’augmentation mécanique des dommages environnementaux.

Alors comment réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? Sobriété ou efficacité ?

Plusieurs acteurs se sont penchés sur la question de la transition qu’il va nous falloir opérer en France pour aller vers une société neutre en carbone à horizon 2050 et tenter donc de respecter les accords de Paris. Parmi ces acteurs, les études de références sont pour moi celles produites par Le Shift Project, l’association NegaWatt et RTE pour la question de la transition électrique.
Dans toutes ces études, la réduction des émissions de gaz à effet de serre passe par plusieurs leviers dont les leviers de sobriété énergétique et d’efficacité énergétique. La différence entre les deux n’est pas toujours bien comprise. Les gains d’efficacité énergétique reposent sur des améliorations techniques plus ou moins complexes. Par exemple, l’isolation des logements. Si votre appartement ou votre maison sont mieux isolés, vous réduisez votre consommation d’énergie tout en ayant la même température de chauffage dans votre logement. D’un autre côté, il y a des leviers de sobriété énergétique, c’est-à-dire moins consommer “tout court”. Pour reprendre notre exemple, c’est le fait de consommer moins d’énergie pour chauffer votre logement car vous avez baissé d’un degré la température du chauffage.

Revenons à notre croyance initiale : “l’innovation nous sauvera”. Est-il donc vrai que nous pourrons garder la même vie qu’aujourd’hui simplement en basant notre transition écologique sur des actions de type “efficacité” ?
D’après le scénario de transition énergétique de NégaWatt, en 2050, notre consommation d’énergie finale annuelle (toutes sources d’énergies) doit baisser de 723 Twh. Cette baisse est due pour 42% à des actions de sobriété et à 58% à des actions d’efficacité énergétique. Les deux leviers sont également étudiés et calculés dans le scénario utilisé par RTE pour modéliser quelle sera la consommation électrique en France en 2050. RTE estime que les actions de sobriété seront responsables de 31% de la baisse de consommation électrique. Enfin, les trajectoires étudiées par le Shift Project dans son plan de transformation de l’économie française estiment aussi que, dans tous les domaines économiques, des actions de sobriété sont indispensables pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Rappelons le, tous ces modèles prennent en compte le développement de nouvelles technologies liées à la production d’énergie sur le solaire, l’éolien, l’hydrogène… L’état actuel de développement de ces technologies et le rythme auquel nous pourrions les déployer à grande échelle ne permet cependant toujours pas de se passer d’actions de sobriété pour atteindre notre objectif.

Tous les scénarios de transition énergétique le disent, les actions de sobriété sont indispensables pour nous permettre d’atteindre l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050. Les gains en efficacité, bien que nécessaires et importants, ne suffiront pas seuls.

C’est cool la sobriété ?

Les actions de sobriété peuvent être entreprises dans tous les domaines, à titre individuel ou collectif. Cela ne doit pas être vu comme une liste sans fin de privations mais comme une manière de vivre différemment, avec une gestion plus intelligente des ressources dont nous disposons ! Voyez ça comme gérer votre porte-monnaie. Vous ne pouvez pas vivre indéfiniment à crédit, même en vous entendant très bien avec votre banquier… C’est pourtant ce que nous faisons depuis des décennies en ce qui concerne le climat. L’empreinte carbone moyenne d’un français est d’environ 10 à 12 tonnes de CO2 équivalent par an. Or, pour contenir le changement climatique à +1,5°C ou +2°C, nous devrions être à 2 tonnes de CO2 par an et par habitant. Nous allons donc devoir passer d’un comportement de “flambeur” à une approche vraiment plus raisonnable de notre budget carbone. Cela se fera entre autres par des actions de sobriété. Voici quelques idées pour s’y mettre !

Concernant l’habitat, cela peut être en diminuant le chauffage ou la climatisation, en limitant les constructions de maisons individuelles au profit de l’habitat collectif moins gourmand en énergie.
Pour les déplacements, nous pouvons limiter les déplacements professionnels grâce au télétravail et à la visioconférence. Au quotidien, nous pouvons choisir le covoiturage ou les mobilités douces. Nous pouvons aussi réduire nos déplacements pour les vacances.
Pour nos achats, nous pouvons limiter l’achat de matériels informatiques neufs, adopter des lois pour améliorer encore la réparabilité de nos équipements électroménagers, privilégier les achats d’occasion pour nos vêtements. Surtout n’oublions pas de nous questionner avant d’acheter pour savoir si nous en avons vraiment besoin !
Concernant notre alimentation, et rappelons que l’agriculture c’est 25 % des émissions de gaz à effet de serre en France, nous pouvons réduire notre consommation de viande ou produits laitiers et réduire fortement le gaspillage alimentaire.

En résumé …

Penser que le progrès technique est notre voie de secours pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et enrayer le changement climatique est malheureusement un mirage. De plus, c’est un mirage extrêmement dangereux car il nous amène à penser que nous pouvons continuer à vivre avec nos modes de vie actuels sans rien changer ou presque. Des changements sont pourtant nécessaires mais ne veulent pas dire qu’ils doivent forcément dégrader notre qualité de vie perçue. Prenons juste l’exemple des déplacements. Un aller-retour Paris / New York c’est environ 2 tonnes de CO2. Si vous avez lu attentivement cet article, vous savez maintenant que c’est le budget carbone dont vous disposez sur un an si vous souhaitez continuer à profiter d’une planète vivable. Partons de l’hypothèse que vous voulez effectivement continuer à habiter une planète vivable ! Sachant cela, n’est ce pas plus logique et plus gratifiant d’aller passer vos vacances dans les Alpes ? Il y a du grand air, des marmottes, du reblochon et même le TGV pour y aller. Que demander de plus ?? Vous aurez quand même profité de vacances et votre qualité de vie perçue n’aura pas baissé, vous aurez juste fait différemment ! Un petit pas pour vous, un grand pas pour la planète 😉

Sarah Bougeard pour Time to Act